C’est un thème qui me tient à cœur et dont j’aurais sûrement l’occasion de parler sur ce blog : le nouveau masculin. En attendant, j’avais envie de vous partager ce magnifique texte de Claire Stride qui rend hommage à l’hypersensibilité masculine.
A toi, cher homme dont tous les sens sont en éveil.
A toi qui sais ressentir et dont le cœur est d’une beauté à couper le souffle quand tu acceptes de le montrer.
Être un homme hypersensible s’apparente à un oxymore sociétal.
Et pourtant tu existes et tu souffres bien souvent de cette capacité exceptionnelle que tu possèdes. Tu la juges pesante, handicapante. C’est un fardeau que tu voudrais poser à terre, un filtre accroché à ta rétine que tu pourrais arracher pour cesser de voir le monde autrement. C’est aussi bien souvent la cause de ton cœur cadenassé.
Tu es né homme et cela implique des codes à respecter.
Tu es un homme et l’on attend de toi que tu endosses ton costume et que tu joues ton rôle à la perfection.
Un homme doit être fort, on te l’a dit, redit, fait rentrer dans le crâne et dans les entrailles.
Un homme ne se laisse pas envahir par ses émotions. Il ne s’extasie pas devant la forme des nuages. Il ne rejette pas la violence. Il ne voit pas de magie dans la musique du vent dans les feuilles d’arbre. Il encaisse. Il ravale son liquide lacrymal.
Être un homme, un vrai…pour ne pas déranger, pour ne pas faire honte, pour ne pas décevoir.
Tu rêves d’amour, de liberté, de passion.
Tu caches tes profondes fêlures, vestiges du rejet que tu as si longtemps enduré. Toi qui hais la violence, tu subis, tu chavires, tu vacilles, tu tombes, tu hurles dans un assourdissant silence. Ton corps a mal, ton cœur ne veut plus rien ressentir. Jamais.
Et pourtant tu perçois les émotions, les énergies, les impressions.
Tu crois être fou. Tu aimerais peut-être l’être. Ce serait plus simple.
Tu cherches ta place.
Le costume de l’homme fort insensible t’étouffe. Chaque année, il t’enserre un peu plus, t’étrangle, brûle ta chair et tu le portes malgré tout, avec un sourire de convenance et une froide distance. Tu fais une pause quand tu es seul, persuadé que cela n’est pas normal.
Tu es souvent incompris, même par tes proches.
Tu succèdes aux modèles et mentors imposés dans lesquels tu te cherches, dans lesquels tu vois à la fois un idéal et une abomination.
Tu avances en enchaînant les rôles pour lesquels tu crois être faits, ceux que l’on t’a suggérés, ceux que tu penses qu’on attend de toi. Tu donnes le change.
Tu caches un trésor magnifique que tu peines à voir.
Tu vibres face au monde. Tu y décèles le Beau, le Vrai, le Juste.
Tu portes la douceur et la passion en ton être.
Tu sais te connecter à la nature, aux autres, à un lever de soleil.
Tes talents te semblent minimes, imparfaits, insignifiants.
Tu tentes de te regarder en dehors du prisme si communément admis. Tout est tellement différent chez toi. Tu es « trop »…trop tant de choses que l’autre dit vouloir et qu’il rejette dès que cela l’envahit. Tu ne sais pas délivrer la bonne dose de toi. C’est tout ou c’est rien.
Et pourtant, tu es amour.
Tes premières expériences ont bien souvent fait tant souffrir ton cœur que tu n’as pu faire autrement que de le mettre à l’abri. Verrouillé. Enterré. Inaccessible. Tu as jeté la clé pour être sûr.
Tu présentes désormais un ersatz de ventricules qui pompent ta vie et te fait croire que tu as dépassé cette blessure. Te voici exsangue de « je t’aime », vidé, désillusionné.
Aimer « les gens », oui de loin, à ta façon. Être présent, loyal, dévoué, aidant, volontaire protecteur, jusqu’à t’oublier…ce sont tes mots d’amour, pas toujours saisis comme tels.
Pourtant tu les cries dans tes prunelles tremblantes d’émotion. Tu aimes du mieux que tu peux.
Tu as cru au grand amour, à celui qui rime avec toujours. Tout y était : la fille, le moment, le feeling, la fusion, l’intensité.
Et puis un jour, plus rien.
Un jour, ton univers a été réduit au-delà du néant car le néant, il y a un mot pour le dire. Au-delà de la mort, car la mort ça s’arrête.
Un homme, un vrai, se remet d’une histoire d’amour et passe à la suivante.
Chez toi, je t’ai souvent entendu me confier qu’à ce moment-là, tu as tout bloqué et que le costume est devenu armure impénétrable.
Aimer à se sublimer, aimer à devenir un, aimer à s’élever…on ne t’y reprendra plus. Cela n’existe pas. L’amour est une tromperie. La vie est un mensonge. Et tout le monde alimente cette illusion.
Et pourtant, tu te bats.
Tu te mets entre parenthèses avec ta peine abyssale, ta colère, tes peurs.
Tu avances malgré toi.
Combien de coups encore pour libérer ton hypersensibilité ?
Combien d’éraflures qui te déchirent encore comme l’évoquait Flaubert ?
Ta force réside dans ta fragilité, dans ta vulnérabilité. Tu ne le sais pas forcément. Ce n’est pas conventionnel.
Et pourtant.
Pourtant c’est en faisant jaillir la lumière dans tes blessures que tu montres ta puissance.
Oui tu aimes, oui tu ressens, oui tu es libre, oui tu as besoin d’être créatif, oui tu pleures.
Et c’est beau !
Oui tu es doux, oui tu as du talent. Oui tu as besoin que ce que tu fais fasse sens et contribue à quelque chose de bien.
Et c’est beau !
Si la femme hypersensible est également incomprise, la société, dans son infini méprisable bienséance, la met dans les cases « fleur bleu », « émotive », « douillette » ou condamne sa biologie qu’elle connaît si mal.
Mais toi ?
Toi tu as peut-être été qualifié de pleutre, de faible, de lâche, de chochotte, de trouillard, de « fille », de pédale ou bien pire.
Tu t’es forgé dans un paradoxe.
Je voudrais te parler de tout ce que tu traverses ou a traversé en famille, en amour, en amitié, au travail. Te parler de ces odeurs, ces bruits, ces lumières qui t’agressent, de la foule qui peut t’épuiser. Te parler aussi de ces couleurs, de ces mélodies, de ses vagues d’émotions qui te touchent et que tu penses être seul à voir.
Si tu as su t’écouter, t’accepter, aujourd’hui cher homme hypersensible, tu rayonnes et vibres au rythme de la beauté du monde.
Si tu n’en es pas là, tu agonises peut-être dans ton costume, que ce soit au boulot ou pendant les repas de famille, ou même lors des soirées entre amis où décidément c’est creux, vide et plat.
Entre sauveur, victime et bourreau, tu peux choisir de n’être aucun des trois.
Tu peux être cet homme hypersensible qui aime, qui pleure en écoutant une voix profonde, qui rayonne et qui résonne aux humeurs du monde.
Homme libre, toujours tu chériras ton être, ta sensibilité, ta vision du monde !
Quand tu fais l’amour, c’est avec ton âme que tu te connectes à l’autre pour l’amener au plus intimes, au plus secrets recoins de son être. Tu es un amant sans égal car ton plaisir est de faire plaisir. Un peu comme si toi, c’était secondaire.
Et pourtant, tu as en toi un diamant brut qui attend d’être révélé en pleine lumière.
Que se passerait-il si on te voyait tel que tu es ? Que penser de ta fragile dureté qui te confère une résilience incroyable ? Que faire de ta vulnérabilité dans un monde qui prône encore la force brute et frontale ou la manipulation ?
Imagine un endroit où ta vision serait partagée, où le Beau serait vu et reconnu, où l’Amour serait admis comme puissance et sagesse de la connaissance de soi et du reste du monde.
Il y aurait encore tant à dire sur tout ce qui te rend extra-ordinaire.
Alors dépasse la souffrance, transcende la douleur du passé, même la plus enfouie, qui se rappelle encore à toi quand tu veux y croire et faire confiance.
Aime-toi aussi fort que tu aimes l’autre, que tu aimes la vie et les nuages.
Abandonne les extrêmes, le besoin que tu peux avoir de t’aventurer au-delà des limites pour sentir quelque chose qui ne déchire pas de l’intérieur, pour te penser encore vivant.
Accueille pleinement ton hypersensibilité comme un don qui adoucit le monde et qui a besoin de toi tel que tu es.
Merci d’être toi.
Claire Stride / Source